Le président de Québecor sent qu’il est le seul pour se battre pour la culture
C’EST UN PIERRE KARL PÉLADEAU en grande forme à qui nous avons parlé cette semaine lors d’une conversation téléphonique, mardi après-midi. Il venait de prononcer une conférence au CORIM (Conseil des relations internationales de Montréal) dans le cadre de sa dernière campagne d’information sur l’avenir du système de radiodiffusion canadien.
Cette fois, le président et chef de la direction de Québecor, monte aux barricades pour s’attaquer à Netflix, au système de redevances des canaux spécialisés, au CRTC, à Radio-Canada, à Bell et à la léthargie qu’il perçoit chez trop de joueurs du système. Alors que le système s’effondre, tout le monde y passe, et pas assez de Canadiens ne semblent s’en préoccuper !
Ce qui semble avoir déclenché sa colère le plus, est qu’alors que les chaînes de son entreprise, performent mieux que celles de Bell dans ses cotes d’écoutes, elle accuse un retard significatif quant aux revenus d’abonnement et donc accumule des déficits de plusieurs millions, année après année – et qu’il ne voit pas de solution dans le cadre actuel.
(Correctif : Le paragraphe ci-dessus a été corrigé pour illustrer que les canaux spécialisés de TVA, dans leur ensemble, performent mieux au niveau des cote d’écoute que ceux de Bell Média au Québec. La version précédent mentionnait que les cotes d’écoute de TVA Sports étaient meilleures que celles de RDS, ce qui n’est pas le cas. Cartt.ca regrette son erreur.)
« Les chaînes de TVA, ce ne sont pas des chaînes que nous avons achetées. Ce sont des chaînes que nous avons lancées, » affirme-t-il. « Nous avons eu le COURAGE de diversifier l’offre faite aux Québécois, au marché francophone. Mais ce courage-là, on a dû faire des chèques pour le financer. »
« Par contre, Bell a acheté Astral qui avait des monopoles de genres et ils perdu beaucoup d’abonnés. Mais leurs redevances n’ont pas baissé. Elles continuent d’augmenter, » continue M. Péladeau. « Alors que leurs parts de marché diminuent, d’une part au niveau de la diffusion et d’autre part, au niveau de leurs abonnés.”
Il y voit une iniquité et se demande si le CRTC est en train de pénaliser l’innovation et le succès pour favoriser et privilégier les anciens monopoles de genre. Un modèle économique étonnant, dit-il.
Et lorsqu’on lui fait remarquer que les redevances sont négociées et pas fixées par personne, il persiste dans la même voie.
“Je vais vous donner un exemple, » souligne-t-il. « Sur le tarif de TVA Sport, on a eu un arbitrage et puis le Conseil a décidé qu’on demandait trop. Mais c’est sûr que Bell est un concurrent, Bell a une chaîne qui s’appelle RDS. Alors, Bell a refusé notre tarif et on est allé en arbitrage obligatoire. En attendant, on a négocié avec les autres distributeurs et les autres distributeurs ont accepté notre tarif. »
Bell TV est évidemment le principal concurrent de Vidéotron en câblodistribution au Québec.
« Ils ne sont pas en conflit d’intérêts ces distributeurs-là. Ils n’ont pas de chaînes. Alors, je ne comprends pas que le Conseil puisse décider quel va être le tarif de TVA Sport alors que ce devrait être aux auditeurs et auditrices de décider : ‘Si TVA Sports est trop chère, on ne le prend pas’. Si RDS est trop cher, on ne le prend pas,’ poursuit-il. ‘Ne vous en faites pas il n’y aura jamais de complot pour fixer les prix des chaînes sportives avec Bell, ça, c’est clair.’
« Je l’ai demandé aux gens du CRTC, dites-moi combien d’argent, combien de millions de dollars, encore aujourd’hui, je vais devoir perdre » – Pierre Karl Péladeau
« J’ai de la difficulté à comprendre et je l’ai demandé aux gens du CRTC, dites-moi combien d’argent, combien de millions de dollars, encore aujourd’hui, je vais devoir perdre. Parce que c’est vous, le CRTC, qui décidez de cela. Vous décidez de mon tarif, dites-le-moi, comme ça, je vais savoir si je ferme mon réseau ou je le laisse ouvert. Je n’ai même pas d’expectative de rentabilité, » continue-t-il. « Je suis redevable quelque part, à quelqu’un, ce sont mes actionnaires. C’est ça l’enjeu. »
Pour lui, le problème, c’est qu’au-delà des redevances, c’est la réglementation imposée par le CRTC, nos lecteurs sauront qu’un autre irritant majeur pour le président et chef de la direction, c’est que les diffuseurs étrangers de vidéos, comme Netflix, ne sont assujettis à aucune règle, contrairement aux joueurs canadiens. Ils n’ont même pas de TPS à percevoir.
« Ils viennent manger le lunch des câblodistributeurs et donc, par voie de conséquence du Fonds canadien des médias (FCM) et de l’ensemble de l’écosystème de télévision canadien, » déplore-t-il.
Il ne croit pas que les politiciens se rendent compte de la sévérité de la situation.
« Pas le gouvernement actuel, » dit-il « car ils se targuent d’avoir signé, une soi-disant entente avec Netflix. On ne l’a pas vu encore réellement se cristalliser l’investissement de Netflix, en attendant, ils ont un freeride. »
M. Péladeau a indiqué qu’il y a une dizaine de jours, il a rencontré le ministre du Patrimoine canadien, Pablo Rodriguez et lui a notamment mentionné que les OTTs (service de vidéo par contournement) ne participaient pas au financement du FCM et parce que les EDR (entreprise de distribution de distribution) perdent des abonnés, ça crée une diminution des revenus du FCM et que si le gouvernement fédéral veut maintenir le niveau de financement, il devra payer la différence. Donc, le gouvernement fédéral devra contribuer davantage. Il dit que Rodriguez n’avait pas l’air surpris, mais que ça a retenu son attention.
« Si Apple investit un milliard en programmation et il va faire ça avec son ‘petty cash’. » – Péladeau
« C’est comme si le CRTC vivait dans une autre époque. C’est comme s’il ne s’était pas rendu compte que Netflix, ça existe. »
« C’est comme s’il ne se rendait pas compte qu’avec Apple qui il y a deux semaines a annoncé son service de streaming. On parle de mille milliards de capitalisation boursière, Si Apple investit un milliard en programmation et il va faire ça avec son ‘petty cash, » dit-il en se moquant. « Y a-t-il un diffuseur au Canada qui a un milliard à mettre en programmation. S’il y en a un trouvez-le-moi je ne l’ai pas vu encore, et le CRTC joue à l’autruche. »
« La réalité elle est là, pas dans trois ans, elle est là. »
Le but de sa nouvelle campagne de sensibilisation est de tenter réveiller les autorités qui ne pas réagissent pas assez rapidement à une situation urgente. Si cette situation n’est pas nouvelle, le moment qu’a choisi M. Péladeau peut étonner.
« C’est vrai que je suis de retour. J’aurais peut-être dû me réveiller plus tôt,’ avoue-t-il, ‘mieux vaut tard que jamais. »
« Il y a péril en la demeure. Si ça continue comme ça, nous autres nous n’aurons que nos yeux pour pleurer et notre tête pour réfléchir et fermer nos télés. Ça va mal à la shop. Il est trois heures, on ferme. »
« Moi, je souhaiterais discuter avec les intervenants c’est l’exercice dans lequel je me suis engagé, » dit-il.
Donc, M. Péladeau a rencontré. Pablo Rodriguez, il rencontrera également les chefs d’opposition à Ottawa, la semaine prochaine et il y fera une allocution au Canadian Club. Il rencontrera également rencontrer la ministre de la Culture et des Communications du Québec, parce que ça a un impact sur la culture au Québec.
« Faut qu’il y en ait un qui le fasse, » dit-il en citant Diane Dufresne. Et ce sera lui !
« La direction de Radio-Canada est en train de phagocyter le système parce qu’en plus elle finance sa production avec les fonds du FCM, qui est lui-même alimenté avec les factures mensuelles des abonnés et des clients. C’est fort le café! » – Péladeau
Il critique également le manque de support de la part des autres radiodiffuseurs et distributeurs dans cette croisade.
« Ce n’est pas Radio-Canada qui va dénoncer son approche concernant Tout.TV, » dit-il. « Ce n’est pas Bell. Car ils ne veulent pas radier le milliard de dollars de ‘goodwill’, qu’ils ont acquis en achetant Astral. S’ils le faisaient, ça démontrerait la pauvreté de leur stratégie. »
Sur Netflix, il poursuit que « Quand Netflix dit à tout le monde qu’elle n’en a rien à cirer du FCM qu’elle ne veut pas du FCM, car si elle en recevait, elle serait assujettie à leurs obligations. C’est vraiment la dernière affaire qu’elle veut. Être assujettis à des obligations de personnes qui sont des fonctionnaires à Gatineau. Les Reed Hastings de ce monde, ils ne savent même pas c’est où Gatineau. »
Une entrevue avec Pierre-Karl Péladeau n’est jamais complète, sans quelques flèches dirigées vers le diffuseur public.
« Le pire, c’est que Radio-Canada possède maintenant un OTT ! Radio-Canada n’est pas une EDR, mais elle en est devenue une, parce qu’elle a une OTT, ici au Québec, elle offre un service qui s’appelle Tou.TV Extra, à 6,99 $. Si vous voulez avoir des primeurs comme Netflix ou le Club Illico, vous payez 6,99 $ et vous aurez accès à du contenu canadien en primeur, du contenu d’autres chaînes dont des chaînes de Bell que vous retrouvez en câblodistribution et finalement de la programmation étrangère, » ajoute-t-il.
« La direction de Radio-Canada est en train de phagocyter le système parce qu’en plus elle finance sa production avec les fonds du FCM, qui est lui-même alimenté avec les factures mensuelles des abonnés et des clients. C’est fort le café ! »
Quand on lui mentionne que les articles le concernant sont souvent accompagnés d’une illustration de lui avec des gants de boxe, il répète qu’il « faut qu’il y en ait un qui le fasse. »
« À l’époque, il y en avait un autre, mais malheureusement il est décédé. On avait des personnalités assez différentes, l’un de l’autre, mais il était toujours prêt. Il était ‘trigger happy’, je parle de Jim Shaw, » conclut-il.