UNE DES PLUS GRANDES entreprises de télécommunication indépendantes au Canada est née du résultat d’une évaluation de vulnérabilité.
“Vers la fin des années 1980, je travaillais chez Bell Canada alors que la CRTC venait de changer les règles par rapport au partage du marché,” se souvient Mel Cohen, président-fondateur de Distributel.
Mel Cohen a été affecté à un équipe interne, chargé d’explorer les conséquences potentielles des changements réglementaires. Au lieu de s’inquiéter pour la part du marché de son employeur, il s’est inspiré de ses recherches pour développer son propre plan d’entreprise. “Je me souviens d’avoir passé mes journées à cogner aux portes des petites entreprises à Mississauga et à leur demander, ‘Pourquoi payez-vous 200 $ pour cette ligne vers Toronto quand vous pourriez payer 100 $ avec nous?’ On me demandait, ‘C’est légal, ça?’ parce qu’il y avait si peu de compétition à l’époque.” (Mel Cohen, le fondateur de Distributel, et son PDG actuel Matt Stein, tiennent à amener les services de téléphonie et internet à haut débit à des marchés moins desservis.)
L’histoire de Distributel ne faisait que commencer — et le décollage de l’entreprise n’a pas été facile, selon le fondateur. “Il a fallu que j’hypothèque ma maison pour avoir des fonds pour lancer l’entreprise, et pendant deux ans, je n’avais pas de vrais revenus. Pendant ce temps, Bell a fait appel à la CRTC pour nous faire fermer. Les liquidités venaient à manquer et je devais faire attendre mes fournisseurs avec des promesses — et à l’époque, mon plus grand fournisseur était Bell Canada!”
Croissance organique
Au cours des deux décennies qui suivaient, la compagnie a étendu sa couverture à travers l’Ontario et le Québec, élargissant son éventail de services aux entreprises, ajoutant des services résidentiels et faisant face à l’évolution du marché et de la réglementation. “On n’a jamais été l’opérateur dominant à un endroit donné,” explique Matt Stein, le PDG actuel de Distributel. “Il n’y avait pas de zone morte où on avait un monopole initial et dont on pouvait se servir comme piste de décollage. Notre décollage a été éprouvant, jour après jour.”
“D’abord, Bell Canada a fait appel à la CRTC pour essayer de nous faire fermer boutique, et quand ils n’ont pas réussi, ils ont développé des forfaits qui auraient éliminé le besoin pour nos services,” se rappelle Mel Cohen. “Plus tard, quand Sprint a introduit leur fameux forfait avec les soirs et fins de semaine illimités à 20 $ [en 1998], on a perdu le tiers de notre clientèle.”
“On a invité des étudiants en administration d’affaires pour faire une analyse, et leur conclusion était, ‘Vendez, sortez pendant que vous pouvez encore sauver quelque chose!’ Mais on s’est accroché.”
Pour survivre à la crise, ils ont offert un forfait plus flexible qui leur a permis de garder des clients qui devaient faire des appels interurbains en journée. “Chaque client est une victoire dans ce marché [ultra-compétitif],” dit Matt Stein, qui a remplacé Mel Cohen comme PDG en 2014.
Dès le début, Mel Cohen rêvait d’élargir ses services bien au-delà du Grand Toronto. “Nos premiers services étaient locaux, des appels entre deux banlieues autour du Grand Toronto. Je me disais qu’on pouvait faire ça dans les environs de Toronto, et ensuite dans les environs de Montréal, et ensuite à Ottawa, et ensuite peut-être les connecter.” Le nom même de l’entreprise, Distributel, a été choisi parce qu’il était compréhensible en français et en anglais. Distributel a élargi son offre au fil des ans, ajoutant un fournisseur internet avec l’achat du fournisseur local Cybersurf en 2002, et faisant son entrée sur le marché de la télé en cofondant, et plus tard en achetant, Zazeen, un fournisseur d’IPTV.
Aujourd’hui, Distributel offre un éventail des services aux entreprises ainsi que des services de téléphonie et d’internet résidentiel en Ontario, au Québec, en Alberta et en Colombie-Britannique, explique Matt Stein. Les services résidentiels, concentrés au Québec et en Ontario, représentent environ la moitié des activités de la compagnie; les services aux entreprises et le vente en gros représentent l’autre moitié.
Brancher le Nord
A l’heure actuelle, Distributel travaille avec le réseau Eeyou Communications Network (ECN) pour amener des services Internet à haute vitesse à huit communautés au nord du Québec, sur les territoires traditionnels de la nation crie d’Eeyou Istchee. “ECN a fait appel à nous…en disant qu’ils savaient très bien construire un réseau fibre-optique, mais ils ne savaient pas nécessairement aller de là, à la provision d’un service complet. On a vu une occasion de montrer que c’était possible fournir de l’internet aux communautés éloignées avec un bon rapport qualité-prix,” dit Matt Stein.
Le lancement du service est prévu pour ce printemps. L’internet à haute vitesse et des services de téléphonie résidentielle et de télévision seront disponibles dans les communautés à des prix comparables aux prix en vigueur à Montréal. A long terme, Distributel espère reproduire le projet dans l’ensemble des 14 communautés cries de la Baie-James, et potentiellement dans d’autres communautés autochtones éloignées ailleurs au Canada.
“Ce projet présente une belle occasion pour nous d’aller droit au coeur de l’enjeu social qui est la fracture numérique,” poursuit Matt Stein. “On parle d’une région qui n’avait pas d’offre comparable du tout. Si vous avez un accès internet là-haut, vous le recevez via satellite ou sans fil, et la [qualité de la] connexion n’est pas comparable à une connexion haut débit. C’est très gratifiant pour nous de pouvoir amener ce service aux communautés.”
“Je suis une personne modeste qui hésite à utiliser le mot ‘fier’ mais…chaque fois qu’on ajoute un nouveau service, c’est un accomplissement dont on peut être fiers,” dit Mel Cohen.
Regarder vers l’avant
Matt Stein croit que Distributel poursuivra sa croissance dans les années à venir. “Le rythme de la croissance dans notre industrie s’accélère de façon organique. J’ai hâte d’offrir davantage de services fibre-optiques en dehors du territoire traditionnel des grands fournisseurs.”
Matt Stein et Mel Cohen, forts d’une vaste expérience dans le milieu, ont plusieurs recommandations pour rendre le secteur plus accueillant pour les fournisseurs indépendants.
“Historiquement, les [fournisseurs] indépendants ont dépendu des services qu’ils achètent des fournisseurs établis, et les prix pour ces services ont dépassé de beaucoup le marge de profit prévu, parce que les prix ne sont pas revisités pendant des années,” dit Mel Cohen. “J’aimerais voir la CRTC commencer à être plus vigilante par rapport à ces prix-là.”
Matt Stein se préoccupe du fait que la CRTC prend parfois plusieurs années à approuver des modifications de prix, et que l’incertitude par rapport aux prix décourage les clients. Il aimerait aussi voir le régulateur reconnaître qu’un marché avec de multiples joueurs aide les consommateurs. “La compétition, dans toutes ses formes, est une bonne chose. La compétition permet au marché d’avancer. On ne peut pas en avoir trop. Ce serait formidable de voir les régulateurs reconnaître cette réalité.”