CELA FAIT PLUS DE 25 ans que la législation qui régit le secteur des communications a été promulguée. Malgré des changements mineurs, la Loi sur les télécommunications et la Loi sur la radiodiffusion sont essentiellement restées inchangées, leurs objectifs demeurant les mêmes. Elles ont résisté à l’épreuve du temps selon certains. D’autres, en revanche, exposent l’impact phénoménal de l’Internet pour demander des changements significatifs à ces Lois.
"L’Internet est devenu le mode de communication principal dans nos vies et pourtant nous demeurons avec des lois qui font encore une distinction entre la radiodiffusion et les télécommunications et aussi entre les communications filaires et sans-fil. Ça n’a pas de sens fait valoir Konrad von Finckenstein, ex-président du CRTC et ex-commissaire de la concurrence. Lors d’une entrevue avec Cartt.ca, il explique que l’Internet a transformé absolument tout dans le monde des communications. La télévision par contournement numérique a débuté sous son mandat et maintenant, elle est partout, a-t-il ajouté.
Cela n’a pas échappé au gouvernement fédéral non plus. Le premier ministre Justin Trudeau et son gouvernement libéral ont semblé être en phase avec les nouvelles réalités affectant les télécommunications et la radiodiffusion, annonçant dans le Budget 2017 une révision des deux Lois ICI. Cependant, ne reconnaissant peut-être pas les impacts significatifs des changements technologiques et des habitudes de communication des consommateurs, les Libéraux n’ont toujours pas fait d’annonces publiques sur cette révision.
Lorsque contacté par Cartt.ca, Innovation, Sciences et Développement économique Canada (ISDE) a répondu par courriel que les télécommunications et la radiodiffusion étaient des secteurs qui évoluaient rapidement. Il a ajouté que le gouvernement « voulait s’assurer que les Canadiens puissent continuer de profiter d’un Internet ouvert et innovant et que le contenu canadien de grande qualité continue d’être produit et accessible dans un monde de plus en plus numérique. »
Avant d’obtenir plus de détails, le secteur des communications devra encore attendre un peu ISDE mentionnant que « plus de détails sur la portée et le processus de ces révisions seront annoncés dans les prochains mois. »
Et ajoutant que ISDE et Patrimoine canadien « partagent les responsabilités de cette révision et qu’ils travaillent activement pour élaborer la structure, la portée et établir les termes de référence. »
Par rapport à certains domaines d’intérêts spécifiques, ISDE a noté que la neutralité de l’Internet sera un principe directeur de cette révision qui examinera « les télécommunications, l’accès au contenu canadien, la concurrence, la diversité culturelle et la création du contenu canadien à l’ère numérique. »
La révision des Lois sur les télécommunications et sur la radiodiffusion ne sera pas de tout repos et il est donc surprenant que rien n’ait été fait depuis l’annonce budgétaire de 2017. Cette révision implique un important exercice de consultation des participants de tous les horizons, propriétaires de réseaux et fournisseurs de service, créateurs d’applications, le milieu académique, les radiodiffuseurs de tout acabit, les comédiens, les scénaristes, les réalisateurs, les avocats et les experts tout comme les consommateurs. Cela pourrait prendre beaucoup de temps, dépendant comment le gouvernement entend procéder.
Une partie de cette consultation est déjà amorcée, car le gouvernement a demandé au CRTC de préparer un rapport sur les modèles de distribution de programmation de l’avenir. Ce rapport devra être remis en juin 2018. Une bonne quantité de commentaires soumis au Conseil dans le cadre de ce processus du Conseil sont pertinents (ici).(ici). Ils portent surtout sur l’impact que des fournisseurs de contenu en ligne comme Netflix, Amazon, Spotify et autres ont sur le marché de radiodiffusion canadien.
Grosso modo, plusieurs argumentent que les fournisseurs de contenu en ligne tirent d’importants bénéfices du marché canadien (c.-à-d. revenus) et que, conséquemment, ils devraient aussi contribuer de façon significative au développement du contenu canadien.
« S’ils veulent la modifier, soit on le fait de façon aussi large et fondamentale pour la Loi sur la radiodiffusion. Ou si vous voulez y toucher, vous devez le faire afin de préparer l’avenir et non régler un problème actuel. » – Kirstine Stewart
Comme le notait Rogers Communications, cet « obstacle structurel » empêche les entreprises canadiennes de radiodiffusion réglementées de réagir de façon concurrentielle aux actions des entreprises de télévision par contournement (TPC).
Mais la bataille est peut-être déjà terminée quant à savoir si les radiodiffuseurs conventionnels et les distributeurs devraient être traités de façon similaire que les fournisseurs de contenu en ligne (moins de réglementation, et pas de niveaux minima de contenu canadien) ou bien si les Netflix de ce monde devraient être soumis aux mêmes règles que les EDR (c.-à-d. contribuer 5% de leurs revenus au Fonds canadien des médias comme de nouveaux types de compagnies de câblodistribution ou à être astreints à de sérieuses règles de contenu canadien comme entreprises de télévision par contournement.) BCE a suggéré que le CRTC « doit se retirer de certains secteurs de réglementation » pour permettre aux services traditionnels d’être au même niveau que les nouveaux modèles de distribution.
Pour Kirstine Stewart, qui possède une longue expérience dans l’industrie de la radiodiffusion à la CBC/SRC et chez Alliance Atlantis, ce dont on parle, c’est de véritablement réimaginer le secteur de la radiodiffusion.
« S’ils veulent la modifier, soit on le fait de façon aussi large et fondamentale pour la Loi sur la radiodiffusion. Ou si vous voulez y toucher, vous devez le faire afin de préparer l’avenir et non régler un problème actuel, » a commenté Stewart, maintenant dirigeante principale pour la stratégie pour Diply, une entreprise de médias sociaux en entrevue avec Cartt.ca.
Ce qui précède n’est qu’une des nombreuses questions en jeu pour le gouvernement alors qu’il tente de moderniser le cadre législatif qui régit le secteur des communications canadiennes. Il y a bien sûr beaucoup d’autres considérations, par exemple, est-ce que le gouvernement devrait combiner les deux Lois dans une nouvelle Loi sur les communications, comment la neutralité de l’Internet cadre dans ce nouvel environnement, quel rôle la Loi sur la concurrence doit jouer et où et, est-ce le temps pour le gouvernement d’imposer de véritables obligations de service aux opérateurs de réseaux?
Alors que plusieurs des intervenants participant à cet exercice auront des points de vue divergents sur les défis à venir et comment les résoudre, il apparaît clairement que les perturbations générées par les radiodiffuseurs/distributeurs en ligne comme Netflix, Amazon et autres ont créée une confusion entre la radiodiffusion et les télécommunications. Que Netflix ait pris d’importantes parts de marché depuis son arrivée au Canada (plus de 5 millions d’abonnés et a capturé le plus large auditoire en heure de grande écoute dans chaque tranche d’âge) indique l’urgence d’agir face aux défis futurs pour les écosystèmes de la radiodiffusion et des télécommunications.
Comme Greg Taylor, professeur adjoint au département des communications, des médias et du cinéma à l’université de Calgary souligne : le contenu exonéré (zero-rated) est un exemple de la difficulté de déterminer ce qui est de la télécommunication et ce qui est de la radiodiffusion. Une autre question : est-ce que le contenu en ligne de la CBC/SRC est de la radiodiffusion ou de la télécommunication, demande-t-il?
« Je pense que des éléments comme le contenu exonéré dans le système canadien et si cela constitue de la radiodiffusion ou de la télécommunication va devenir de plus en plus compliqué (à départager) à mesure que les choses progressent, » a-t-il dit à Cartt.ca.
Ce texte constitue le premier segment d’une série sur les enjeux, défis et solutions pour moderniser les Lois de la radiodiffusion et des télécommunications.
Dans ce deuxième segment, nous explorerons la fusion des deux lois sur la radiodiffusion et celle des télécommunications est une bonne idée.
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Oeuvre originale de Paul Lachine, Chatham, Ont.
Traduction de l'anglais par Denis Carmel, Gatineau, Qué.